Les Français ont consommé en moyenne moins de 150 grammes de viande de cheval par habitant en 2018, selon les données du Ministère de l’Agriculture. Élevage, commerces spécialisés… c’est toute la filière équine française qui subit les conséquences de la baisse de la consommation de viande de cheval.
Des paupiettes de cheval. C’est ce que Joseph Mentuni, jeune retraité de 66 ans, est venu chercher aux Halles Sainte-Claire de Grenoble. « Je veux préparer des braciole, c’est un plat typique des Pouilles. Mes parents le cuisinaient pour la famille à chaque fête de Pâques », indique ce sexagénaire aux origines italiennes. « Vous savez, mon fils revient à la maison spécialement pour ça ! »

Pour les acheter, Joseph va chez le dernier boucher chevalin des Halles Sainte-Claire, Salvatore Messina. À 9,90 euros le kilo, ses prix défient toute concurrence. La conséquence d’une chute de la demande selon Salvatore Messina. En dix ans, aux Halles Sainte-Claire, il estime avoir perdu la moitié de ses clients. « Il m’en reste 250 par semaine aujourd’hui » affirme le boucher. « L’un de mes gros problèmes, c’est l’absence de renouvellement de la clientèle. » Parmi les clients de Salvatore ce matin-là, on compte bien plus de personnes âgées que de jeunes…

C’est tout sauf une surprise : En 2013, l’institut Kantar Worldpanel estimait que trois consommateurs de viande de cheval sur quatre avaient plus de cinquante ans. En 2018, moins de 10 000 tonnes de viande de cheval ont été consommées en France, soit 0,2% de la consommation totale de viande de boucherie.
Face à ces constats, Salvatore Messina est fataliste : « Quand j’ai commencé ma carrière, il y avait une dizaine de commerces de viande de cheval à Grenoble. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que cinq. Pour moi, il n’y aura plus de boucherie chevaline en France d’ici 20 à 30 ans. »
Du cheval rôti au cheval ami
Le vieillissement de la population n’est pas la seule raison du désamour croissant des Français envers la viande de cheval. Selon Jean-Pierre Digard, directeur de recherche au CNRS et auteur d’Une histoire du cheval parue en 2007, ce sont avant tout des raisons culturelles qui ont entraîné le déclin de l’hippophagie » en France. « Avec le développement de l’agriculture mécanisée et de la motorisation, un glissement de l’utilisation des chevaux s’est opéré au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Ils sont passés de la sphère du travail à celle des loisirs » analyse cet anthropologue de la domestication animale. « Les activités équestres se sont développées. On est passé de quelques dizaines de milliers de pratiquants de l’équitation à la sortie de la deuxième guerre mondiale à plus d’un million et demi autour de l’an 2000. » L’une des conséquences est le changement de statut du cheval, selon le chercheur. « Le cheval est progressivement devenu un animal de compagnie. »

En France, ce changement de statut s’est fait au détriment des races de chevaux de trait, essentiellement élevées pour la production de viande. En 2017, on ne comptait plus que 55 359 chevaux de trait dans les exploitations agricoles, selon les statistiques du Ministère de l’agriculture. Une baisse des effectifs de plus de 25% depuis 2000.
Haras-kiri
Jean-Luc Césari est éleveur de comtois, une race de chevaux de trait, à Mercury en Savoie. Son cheptel compte une soixantaine de bêtes ; il vend directement la viande de poulains, âgés de 7 à 30 mois, sur les marchés de Savoie. Il n’en tire toutefois pas suffisamment d’argent pour s’assurer un revenu stable. « J’occupe un deuxième emploi à l’usine Ugitech d’Ugine. C’est ce qui me permet de maintenir l’exploitation à flot » confie Jean-Luc. « Si je pouvais ne vivre que de l’élevage, je ne ferais que ça. »

Selon Jean-Luc Césari, la baisse de la consommation de viande de cheval constitue même une menace pour les chevaux de trait. « Sans nous les éleveurs, des races de chevaux disparaîtraient » assène-t-il. « Plutôt que de mettre des chevaux à la retraite, qui ne sont pas rentables, on permet un renouvellement. »
Selon Maryline Jacon, conseillère de la filière équine auprès de la chambre régionale d’agriculture de la région Auvergne-Rhône-Alpes, il y a « moins de débouchés pour les élevages de chevaux de trait et très peu sont rentables. Les élevages français subissent en plus la concurrence de la viande de cheval importée, vendue bien moins cher. »

« Parler de la fin de la viande de cheval, c’est un vrai tabou chez les éleveurs de chevaux de trait », constate Maryline Jacon. « Ce sont des passionnés, très peu sont capables d’accepter ce discours. »
(écrit avec Aude Frapin)
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